Le cadre de l'holacratie

Cet article a pour objectif de donner une petite perspective sur l’holacratie, la gothamocratie, la sociocratie, ou tout simplement sur une façon actuelle qui me séduit particulièrement pour accompagner les organisations.

J’avais déjà pu écrire que je pensais plutôt du bien de cette approche ici (Hellocratie, Holocratie, Holacratie, Honolulucratie). Elle n’est pas nouvelle, mais elle synthétise bien, dans la lecture que j’en fais, les éléments auxquels je crois dans le but de faire grandir son organisation. Je pense qu’en complément de mes articles, ceux de Géraldine donnent une dimension opérationnelle, je vous recommande donc d’aller lire le blog de cette coach. L’objectif de mon article est de permettre de démarrer en holacratie, en sociocratie, etc. en s’assurant d’avoir saisi quelques fondamentaux.

Évolution continue et distribution du pouvoir

Ces mouvements, notamment la sociocratie et plus encore l’holacratie, pourraient être réduits (sans être diminués) à deux concepts clefs :

Si votre implémentation de ces démarches n’intègre pas ces deux composants, je pense qu’elle est vaine car je crois à ces deux idées (évolution continue et distribution du pouvoir), ou qu’elle est non représentative de ce que vous pourriez appeler holacratie ou sociocratie. Ainsi donc comme toujours, peu importe le nom que cela porte, c’est bien les principes sous-jacents qui sont fondamentaux.

Cadre et Autorisation

Il me parait donc clef de comprendre le principe de cercle englobant et de sous cercles concernant la déportation, la distribution du pouvoir. Qu’un cercle englobé est un sous ensemble qui s’attribue un domaine de compétences et d’intervention déporté par le cercle supérieur. Ceci n’est possible que si le cadre est clarifié. On le clarifie en énumérant la raison d’être, le sens, du cercle (le “driver” dit la sociocratie). On le clarifie en définissant ses redevabilités (ses devoirs) en rapport avec sa raison d’être et en accord avec le cercle qui l’englobe, celui qui a déporté son autorité chez lui. On clarifie le cadre en énumérant le domaine, les zones d’intervention de ce cercle.

Le cercle et ses participants se sentent autorisés à prendre cet espace car le cadre est clarifié. Le cercle englobant se sent sécurisé à déporter son autorité car il sera régulièrement tenu au courant de l’état du cercle par des métriques (des indicateurs) et des checklists en provenance de celui-ci. Ainsi que la garantie que la raison d’être et les redevabilités (devoirs) sont bien suivies. Il y a un “ambassadeur” en quelque sorte, fonction tenue par le premier lien qui personnifie et incarne cette déportation du pouvoir mais qui est surtout messager du sens car il va faire partie de ce “sous” cercle. Les cercles ne sont pas isolés ils sont reliés par ces liens.

Ainsi donc les principes d’une évolution continue et d’une distribution du pouvoir sont rendus possible par la clarification d’un cadre et la délivrance d’une autorisation de facto car validée constamment par le respect d’une raison d’être, de redevabilités, de la définition d’un domaine d’intervention et la remontée constante d’informations : métriques et checklist, liens.

Les images sont piquées à sociocracy30.org que j’apprécie particulièrement.

Deux types d’entités : opérationnelles et par affinité

Ce qui est recherché par cette distribution du pouvoir c’est l’autonomie. Car c’est l’autonomie qui va permettre une réponse adéquate à ce monde changeant complexe actuel. Dans cet ensemble de cercles dans lesquels sont déportés les autorisations, le pouvoir, on observe rapidement deux familles : les cercles opérationnels et les cercles par affinité.

Dans les organisations, particulièrement dans ce monde agile, on va avoir une approche verticale : groupes pluridisciplinaires qui peuvent proposer chacun une réponse auto-suffisante, qui sont capable de délivrer des éléments autonomes faisant sens. En sociocratie et en holacratie on a donc souvent des cercles axés sur un périmètre opérationnel : je délivre quoi, pourquoi. Mais je suis autonome (donc pluridisciplinaire) pour le délivrer. J’appelle cela des cercles opérationnels.

De l’autre côté on a des cercles qui garantissent un service transverse à l’organisation : par exemple un cercle RH, un cercle qualité logiciel, etc. J’appelle cela des cercles par affinité. Leur rôle est de diffuser ou de centraliser, de capitaliser. Leur autonomie leur sert à pouvoir décider sur leur périmètre, ils doivent donc être légitimes (exemple: les principaux représentants RH dans un cercle RH, mais aussi peut-être des experts d’autres champs pour compléter les points de vues et avoir de l’autonomie).

Capacité de communication

Je n’ai pas encore assez de recul pour vous dire exactement les variations que ces deux types d’entités vont engendrer. Mais elles existent sans doute, j’en perçois les effets dans mes missions. La première difficulté que j’observe c’est la communication entre ces cercles de différents types : en déportant le pouvoir dans ces groupes, ces cercles, en les protégeant, on les a aussi potentiellement isolés, surtout entre les cercles opérationnels et par affinité, pas de la même “famille”.

Je vous ai dit que les cercles n’étaient pas isolés mais reliés par les liens. Normalement on a donc un pouvoir qui est distribué avec des remontés et des descentes d’informations : premier lien, deuxième lien, métriques, checklist. L’holacratie comme la sociocratie sont équipés pour la remontée et la descente d’information. C’est plus les informations transverses qui ont plus de mal à transiter.

Dans mes observations du terrain les cercles remplissent bien leurs rôles ces remontées et descentes d’informations. Les informations transverses se délivrent aisément par une communication libre, orale bien souvent, entre les cercles. Mais des fois la question est posée, et la communication à plat entre les cercles, est plus problématiques qu’il n’y parait.

Dans ce cas j’ai utilisé récemment une adaptation proposée par Dragos d’un atelier du nom de “give and take”. Je créé une simple matrice avec tous les cercles en abscisse et en ordonnée (ou tous les cercles d’un domaine), et j’utilise la jointure pour exprimer un besoin, une attente. La question de l’enfermement de la communication inter cercles non englobés/englobant est systématiquement remontée dans mes contextes. J’en griffonne un exemple ici.

Cette communication peut aussi être résolue quand des personnes font partie de plusieurs cercles (en plus des personnes qui sont premiers liens et deuxièmes liens). Mais attention à ne pas saturer les personnes. Deux cercles me semble raisonnable par personne.

Enfin ces soucis de communication qui pourraient apparaître sont peut-être le signe d’un manque d’autonomie ou de clarté dans la raison d’être, le domaine, les redevabilités du cercle.

Émergence et invitation

Comme très souvent dans la conduite du changement il faut privilégier l’émergence et l’invitation.

On opte pour l’émergence de la forme adéquate et ne pas planifier la forme adéquate. Il est donc raisonnable de démarrer soit par former vos cercles selon votre réalité, ce que vous êtes, puis ils évolueront au fil de l’eau puisque justement cette évolution continue est au coeur de l’holacratie ou de la sociocratie. (Ainsi l’émergence ne s’arrête pas non plus…) Soit en créant des premiers cercles qui fassent sens : en accord avec le sens de l’organisation (qui n’était peut-être pas à ce jour organisée en fonction). On peut démarrer en formant des cercles qui représentent la réalité, ou vous pouvez démarrer par la création d’un premier cercle pluridisciplinaire qui instaure une nouvelle organisation autour du sens. Par exemple : nous avons besoin de traiter ce besoin du marché : on crée un premier cercle autour. Il est souvent immédiatement dépositaire d’un premier cercle englobant porté par le management. Les choses pourront changer mais la réalité et le sens c’est souvent cela au début.

Faire émerger c’est donc suivre une vision, un sens, pas un plan.

Et de fait toutes les conversations sont possibles car tout le monde connaît cette réalité, ce sens, ou le découvre ou perçoit mieux les gaps, les tensions, entre les différentes visions. Émerger est assez simple : on demande le sens premier puis on le décline selon les besoins dans des “sous”-cercles englobés.

Sens, émergence, rien ne devrait être forcé. Cela demeure une invitation.

Être prescriptif c’est freiner l’appropriation, on devrait pouvoir inviter les gens. On n’amène pas une organisation où elle ne veut pas aller, on n’amène pas les gens où ils ne veulent pas aller. Je fais attention de ne pas attribuer de rôle dès le démarrage trop rapidement : je les laisse émerger des tensions, des besoins, du sens. Quand la routine est prise, on peut traiter les rôles plus rapidement (par exemple un nouveau rôle apparaît que l’on déploie dans tous les cercles rapidement). Si on arrive avec une grille de rôles toute prête on va enfermer les personnes dedans. Les rôles comme les cercles évoluent dès que cela fait sens.

Organisationnel ou opérationnel ?

On croise souvent scrum et holacratie, on les compare, on les mélange, mais c’est une erreur. L’un répond à un besoin opérationnel, l’autre souhaite répondre à l’organisation de l’organisation, à un besoin organisationnel. Je suggère de ne pas mélanger les niveaux de lecture. Ne commencez pas à me dire : on a besoin d’un scrummaster et d’un product owner dans ce cercle, en tous cas pas de prime abord. L’holacratie et la sociocratie proposent des cercles pour répondre aux besoin de l’organisation. Une méthode comme scrum propose des rôles qui sont endossés avec des pratiques pour réaliser des choses (en l’occurrence souvent des produits en environnement complexe, et le complexe est partout). Il se peut donc que certains rôles qui émergent dans les cercles soient ceux d’une méthode comme scrum, mais si vous liez les deux trop fortement dans votre discours vous rendez la lecture de l’organisation compliquée, et vous fermez des portes à l’invitation et à l’émergence.

Gardez le bon niveau de lecture : celui de l’organisation de l’organisation.

Ne pas suivre à la lettre

Pour finir il ne faut naturellement, et comme toujours, ne pas suivre à la lettre les framework, méthodes, etc. Il faut en suivre les principes, ce que j’ai essayé de mettre en avant ici. Les écarts les plus flagrants dans ma pratique sont :

Faut-il écouter les critiques

Oui toujours.

Bien qu’elles soient souvent fondées sur ce que j’estime être de mauvaises implémentations de ces principes qui vont au delà de l’holacratie et de la sociocratie. Une holacratie, une sociocratie, sans émergence, sans invitation, sans distribution du pouvoir, sans autonomie des cercles peut vite se transformer en machine à broyer assez inhumaine basée uniquement sur le dictât de règles sans sens.

Un dernier mot :

À bientôt.