Être engagé ? (partie 2)

Quand Dan Mezick m’a parlé de ces idées sur l’engagement inspirées par le monde des joueurs de jeux vidéos, courant 2013, il enchaînait souvent en citant aussi des enseignements de Tony Hsieh le leader de Zappos (quand Zappos était symbole de réussite). Ces quatre autres éléments que je vais vous donner faisaient complément, renforçaient les précédents points (être engagé - partie 1). C’est avec les années que j’ai vraiment compris que cette seconde liste équilibrait autant la première : garde-fou, résonance.

Voici les quatre points en résonance de ceux évoqués précédemment. Pour être impliqué, engagé, il faut :

Un sentiment de contrôle

C’est le garde-fou des règles claires évoquées dans la première série sur l’engagement (être engagé - partie 1). Dans celle-ci je vous parlais d’un cadre, lié à un objectif clair, et des règles claires qui aidaient à prendre l’espace, à s’impliquer, à s’engager. Elles impliquent à la condition qu’elles n’entravent pas trop l’autonomie. Elles sont là pour donner de l’autonomie, pas la contraindre. Il s’agit d’un sentiment de contrôle de son outil de travail, pas de contrôle de l’autre. Imaginer un individu dans un groupe qui démarre son activité et qui doit demander à tel autre groupe l’accès aux ressources, aux machines, à tel autre groupe le droit de sécurité, mise en production, accès à telle donnée… qui ne peut pas manipuler véritablement son outil de travail car sa juridiction est morcelée. Pas de sentiment de contrôle de son outil de travail, perte de son implication. C’est pour cela que souvent dans un monde agile on recherche des “feature teams”, des équipes pluridisciplinaires, elles possèdent une capacité d’autonomie, elles contrôlent leur périmètre. Les gens doivent pouvoir s’approprier leur périmètre. Des règles claires mais qui préservent l’autonomie.

Un sentiment de progrès

Là c’est simplement l’écho de l’idée du feedback que j’évoquais précédemment. Il susciter l’engagement il faudrait régulièrement savoir ce que l’on produit, génère, obtient. Il faudrait (très) régulièrement mesurer. Pour cela il faudrait (très) régulièrement finir des choses. Et ainsi à travers ce besoin de sentiment de progrès je voudrais sensibiliser les gens à ne pas travailler sur trop d’éléments à la fois. Le multitâche est très nocif à notre productivité. Voyez ce schéma :

avec une tâche je suis normal, avec deux je suis meilleur car je peux basculer de l’une à l’autre pendant les délais incompressibles. Avec trois ma productivité est déjà généralement en dessous de celle que j’ai en traitant une tâche à la fois. Si je passe à quatre ou cinq cela devient la bérésina.

J’en viens à dire aux organisations : “cessez de travailler sur dix projets à la fois, focalisez vous sur les trois plus importants”. Des fois on me répond, narquois, “mais Pablo c’était le 8,9,10 qui permettaient de te payer”. Alors je reprends (eh eh) : “arrêtez le septième vous le finirez plus vite”. C’est une approche cohérente globale : si vous savez découper en petits morceaux vos projets/produits, vous saurez délivrer une moelle substantifique dans un laps de temps plus court, et passer au suivant. Vous démarrez le suivant plus tard, mais avec un focus beaucoup plus fort, et aussi cette capacité à condenser la valeur dans un scope plus réduit. Et ainsi de suite.

Pour être engagé, il faut garder un sentiment de progrès, nourrit par le feedback, il faut savoir être focalisé sur un nombre réduit d’activités.

Appartenance à une communauté

Avec l’invitation on entre dans un groupe, une famille, une équipe. C’est une bienvenue. L’appartenance à une communauté parait une évidence pour se sentir engagé, impliqué. Cela l’est, une évidence. J’en profite pour revenir sur ce qui fait un groupe, une équipe, sur quelques chiffres importants. Ces chiffres je les évoquais dans la horde agile, en 2013.

Le chiffre de Dunbar

Dunbar est un sociologue/anthropologiste, il constate que les villages de la préhistoire se scindent autour de 150/220 personnes, laissant penser que notre physiologie nous interdit d’avoir plus de 150/220 réelles connections sociales. Si donc je veux encourager un sentiment d’appartenance à une communauté je vais limiter mes “divisions,départements,agences” à 150/220 personnes.

Plaisir d’appartenance à un groupe

Avec les recherches de Christopher Allen, on évoque le plaisir d’appartenir à un groupe, quel chiffre déclenche cette satisfaction ? Le tableau ci-contre indique que le meilleur sentiment de satisfaction, qui appuiera un sentiment d’appartenance, se ressent autour de 7 et 50. Si donc je suis un dirigeant je vais découper mon organisation en divisions de 150/220, puis en départements de 50, puis en équipe de 7.

Souvent c’est le moment où quelqu’un dit qu’on ne peut ainsi pas faire de “gros projets”, de “grands produits” avec une équipe de 7 par manque de capacité. Peut-être mais avec 7 équipes de 7 on le peut. Naturellement les “gros projets” entraînent un besoin de synchronisation (c’est tout l’enjeu du agile at scale, culture et synchronisation), mais il est bien plus facile de synchroniser 7 équipes de 7, que de travailler “en rateau” avec 50 personnes.

Communications interactives

Enfin le chiffre 7 est corroboré par l’observation de Fred Brooks (dans le vieux et célèbre “homme mois mythique”), qui démontre visuellement que le nombre d’interactions devient insoutenable dès que l’on franchit la barre des 7/9 personnes. C’est à dire qu’une vraie communication et dynamique d’équipe se bâtit… de 4 (à partir de quatre sensation d’équipe, avec c’est encore des individualités, ce n’est pas négatif cependant), jusqu’à 8. Au delà de 8 on observe que les communications interactives se scindent en deux groupes.

Ainsi donc à la recherche d’un sentiment d’appartenance je vais décliner mon organisation en groupes de 150/220, puis 50, enfin des équipes de 4 à 8. Ainsi mon implication et mon engagement seront meilleurs.

Courbe de Allen

Puisque l’on parle qualité de la communication, je précise souvent que la co-localisation est clef. Cette observation est confortée par les études “officielles” (de IBM !) qui décrivent qu’au delà de 15m la communication s’effondre. Aleister Cockburn utilise la métaphore suivante : au delà de la distance d’un bus la communication s’effondre.

Ces dernières années je pourrais remettre en question cette question de distance et de co-localisation car les nouveautés technologiques peuvent la rendre invisible. Sous couvert de plusieurs conditions, mais c’est probablement l’objet d’un autre article.

Travailler pour quelque chose qui nous dépasse, de plus grand que nous

Nous avions parlé d’un objectif clair pour engager les joueurs de jeux vidéos. Dans “la vraie vie” – comme on l’entend souvent – celui doit être habité par du sens. C’est la fable du tailleur de pierre, je suis engagé si je ne taille pas simplement une pierre, ou même si je ne fais que cela pour nourrir ma famille, je suis engagé, impliqué, si je vois la cathédrale que nous batissons au travers de ma taille.

Conclusion de cette série

Je reprends comme je le disais dans cette série des écrits passés, qui me semblent toujours d’actualité avec des conversations actuelles et récentes. Je vais continuer ce travail de réfection.

Pour conclure sur l’engagement : un objectif clair qui soit habité par du sens, des règles claires mais qui laissent assez d’espace pour l’autonomie et le sentiment de contrôle, du feedback qui permette un sentiment de progrès régulier, une invitation et les conditions d’une dynamique de groupe.

Dans la série :