Introspection, exposition et cohérence

Il y a de nombreuses raisons qui expliquent pourquoi les gens sont paralysés. Les erreurs sur les messages passés, les incompréhensions sur les tensions, la difficulté de changer de culture, etc. Et on aura saisi la bascule entre un manager qui commande et celui qui encadre et dirige (donner la direction, l’incarner).

Tout cela comment le mettre en place concrètement dès lundi. C’est une question souvent posée.

Je vous ai expliqué le changement de posture managériale nécessaire et le sens à donner.

Mais vous aimeriez une liste d’instructions à suivre, que je vous dise comment faire pas à pas.

Et bien je ne sais pas vous dire ce que vous devriez faire lundi. Encore une fois, il faut arrêter le contrôle, ou attendre d’autres une liste d’actions à réaliser. Surtout concernant votre organisation qui n’est pas la mienne. Chacune des organisations fictives que je croise à un sens différent, des convictions différentes, un environnement différent, un état des lieux différents, des personnes différentes. Débrouillez-vous. Je peux vous donner les principes que j’applique à moi-même et qui semblent porter leurs fruits (mon entourage ne dirait peut-être pas cela). Mais je n’ai pas de garantie que cela fonctionne avec vous.

Le premier de mes principes, c’est l’introspection. Rien ne se passera s’il n’y a pas de questionnement. Je sais que dans ce monde complexe il va falloir rapidement savoir passer à l’action sinon on pourrait réfléchir jusqu’à la fin des temps. Mais il faut un minimum de questionnement. Comprenez que ce mot introspection comprend deux phases : le questionnement et l’action. Cette introspection c’est un muscle à développer. Et comme tous les muscles au début il est faible. C’est tout simple, mais comme beaucoup de choses simples (et pas simplistes) ce n’est pas si facile à mettre en œuvre. Je suggère de s’interroger tous les jours et de mettre en action : est-ce que les choses vont bien ? Est-ce que je travaille et j’agis comme je le souhaite ? Qu’est-ce que je pourrais faire différemment ? Est-ce que j’aurais pu faire de meilleurs choix ? Prendre d’autres et de meilleures décisions ? Quelle est la prochaine chose à faire pour avancer ? C’est la partie questionnement. Si on s’arrête là on n’aura pas de sentiment de progrès. Juste de tourner en rond avec les mêmes questions, de se sentir pris au piège. Et ces interrogations personnelles vont devenir comme du citron qui coule sur une plaie. On voudra très vite les oublier. Devenir un robot. Arrêter de penser ! Vous vous rendez compte au bout d’un moment si on ne traite pas les questions on élude les questions : est-ce que les choses vont bien ? Est-ce que je travaille et j’agis comme je le souhaite ? Qu’est-ce que je pourrais faire différemment ? Est-ce que j’aurais pu faire de meilleurs choix ? Prendre d’autres et de meilleures décisions ? Quelle est la prochaine chose à faire pour avancer ? C’est dramatique pour vous si on en arrive à éluder ces questions et pour l’organisation fictive. Il n’y a pas d’introspection sans questionnement, mais pas non plus sans mise en action. Mettre en action est généralement plus difficile.

Qu’est-ce qui empêcherait la mise en action?

D’abord un muscle mal entraîné. C’est quoi un muscle mal entraîné. On pense qu’il faut tout changer. Que tout est obligatoirement lié, que ce soit tout ou rien. On se lance sur des changements dont on ne voit pas la fin, dont on n’apprend rien avant longtemps. On veut tout faire, on voit trop gros. Les actions d’une introspection devraient être assez minimes pour nourrir le questionnement suivant. On peut en observer les effets rapidement. C’est un cercle vertueux, je m’interroge j’agis différemment la fois suivante, j’observe, je ne me limite pas à cette seule observation, j’essaye de valider par une répétition le résultat si il est bon. “Le mieux est l’ennemi du bien” n’est pas un dicton si connu pour rien. Aujourd’hui autour de moi je vois souvent des gens tétanisés qui n’osent plus penser et encore moins avoir des initiatives.

Un muscle mal entraîné c’est peut-être aussi une peur de sortir de sa zone de confort. Que va-t-il se passer si les choses changent ? On en revient au propos du début de notre conversation. Et que va-t-il se passer si vous ne changez rien ? De nouveau vous faîtes de l’organisation votre sarcophage. Là encore les actions minimes sont les bienvenues : elles ne nécessitent souvent pas d’autorisation de quiconque. Donc pas de blâme à l’échec. Et si échec il y a c’est sur un petit périmètre. Pour sortir de sa zone de confort, il faut aussi y aller à petits pas, surtout quand votre muscle est endolori.

Quoi d’autre empêcherait la mise en action de votre questionnement ?

L’organisation elle-même. Elle n’est pas claire sur ses messages, son sens, comment alors répondre aux questions posées ? Qu’est ce que je pourrais faire de mieux, oui, mais pourquoi ? Il faut alors interroger le manager juste au-dessus, c’est lui qui ne tient pas bien son rôle. Ça arrive à tout le monde, moi le premier. Et peut-être il faudra remonter et remonter. Et on peut retrouver la peur évoquée précédemment. Plus on monte, plus on a accès aux hautes sphères de l’organisation plus cela indique que l’on est déjà haut, soit même, et plus on pense probablement avoir beaucoup à perdre, que la chute fera plus mal.

Ou l’organisation interdit de bouger, de changer, d’améliorer, de penser. C’est le moment de savoir si effectivement vous souhaitez que cette organisation devienne votre sarcophage ou si vous voulez être assez en vie pour avoir le droit à l’introspection.

L’introspection est une mise en mouvement. L’initier est souvent le plus dur après l’élan vous aide.

Il faut se sentir autorisé, de nombreuses choses sont possibles, beaucoup plus que vous ne l’estimez. Les managers, comme les membres des équipes, se freinent énormément, s’autocensurent. Il y a généralement plein de choses à faire, beaucoup plus que les gens ne l’imaginent, avant d’être bloqué.

Hey détendez vous, il arrive souvent que l’introspection mène à “cela se passe bien continuons ainsi”, sans se mentir.

En parallèle de cette introspection, quand vous renforcez ce muscle, il va falloir s’exposer. Vous ne vivez pas seul dans une pièce vide. Vous êtes un composant de tout un système, avec de nombreuses interactions. Vous avez besoin de constamment envoyer des signaux autour de vous : pour nourrir cette introspection, et pour avoir des retours à son sujet, du feedback. Si vous ne dîtes jamais ce qui vous chagrine, ce qui vous interroge, les problèmes qui vous sont posés, si vous n’explicitez jamais les actions que vous menez, n’attendez aucune aide, aucune contribution, aucune information, aucun appui. Ou pire des appuis malencontreux qui n’auront pas forcément compris ce qui se déroule, vers où vous allez. Taisez le moins de choses possible. Apprenez à parler à haute voix.

Oui il s’agit souvent de simplement dire à haute voix ce que vous pensez tout bas. Tout simplement, mais pas si facile. En ce moment je demande aux coachs autour de moi : est-ce que je dois continuer à autant accompagner les organisations ou plus me focaliser sur beNext ? Que doit-on réformer dans notre façon de fonctionner ? Comment devons-nous penser la place des coachs dans l’organisation ? J’ai mon avis, j’ai un avis, des pistes, je m’interroge, j’observe, je cherche des réponses. Mais en disant mes pensées à haute voix, en interrogeant les coachs, j’obtiens beaucoup plus d’informations et d’intelligence. Ils savent que je ne vais pas forcément aimer leurs propositions, leurs réflexions, ni même si je les aime les appliquer, mais ils savent aussi que cela va nourrir ma réflexion, et même que je suis prêt à suivre totalement les idées d’autres, heureusement. Si si. Et tout le monde à le droit de dire des bêtises dans cette réflexion, sinon comment dire des choses intelligentes si les bêtises sont interdites ?

En formulant à haute voix ce que vous observez, ou votre introspection et les actions liées, vous entrez en vibration avec le système qui vous entoure et il vous renvoie plein d’indications, plein d’informations, il vous enrichit grandement et vous l’enrichissez, car vos réflexions à haute voix nourrissent d’autres personnes. Et puis vous ne pouvez pas être seul à répondre à toutes vos questions.

Je ne vous demande pas de dire des insanités ou des insultes, même si elles peuvent vous traverser l’esprit, juste de décrire le pourquoi ou vos observations sur l’organisation. On demande aux programmeurs informatiques de parler à une peluche en codant. En disant les choses à haute voix on organise son esprit, réorganise sa pensée, on lui donne de la consistance. Si vous ne savez pas exprimer votre pensée comment la mettre en œuvre ? Vous connaissez la citation d’Einstein : si tu ne sais pas expliquer à un enfant de huit ans ta pensée tu ne sais pas ce que tu veux. Ainsi exprimez simplement à haute voix pourquoi vous agissez ainsi, qu’est-ce que vous essayez.
Formuler les choses à haute voix les rend palpables, les rend accessibles, modifiables, améliorables. Ou dire les choses à haute voix lève le voile sur leur existence, comme si on sortait d’une hypnose. Des observations bénignes : sur qui s’assoit toujours au même endroit, des tournures de phrases, des comportements, des mots-valises que soudain on n’accepte plus en les interrogeant.

Vous connaissez la fable du roi nu, il se fait berner par des tailleurs qui lui expliquent que la beauté de leurs tissus ne peut être vu que par des gens intelligents. Et ils lui vendent un habit qui n’existe pas, il accepte par orgueil même si il ne voit pas un tissu qui n’existe pas. Le roi nu se promène au milieu de ses sujets en se disant que les autres voient son costume. Mais personne ne voit rien et n’osant dire ce qu’ils voient tout le monde applaudit ce nouvel habit qui n’existe pourtant pas. Jusqu’au cri d’un enfant : le roi est nu ! La réalité refait violemment irruption. On a mis des mots dessus, ils ont été dits à haute voix.

S’exposer c’est aussi se rendre vulnérable. Il n’y a pas de bons managers qui ne soient pas vulnérables, car il n’y a pas de bons managers sans l’implication de leur écosystème. Il n’y a pas de managers qui vivent seuls dans une salle sous vide, et il n’y a pas de managers qui ne se trompent jamais. Il n’y a pas de bons managers invulnérables. La vulnérabilité est une authenticité, une preuve de votre implication.
Il faut ainsi avoir constamment de l’introspection : s’interroger et mettre en action le fruit de ses réflexions. Ses actions sont petites, cumulables, facilement mesurables. Cette interrogation, ces actions prennent une autre dimension quand elles sont partagées. Sans chercher des résultats juste les partager, le mélange des cerveaux, des vibrations, fera le reste. Puisque vous vous interrogez, vous allez montrer que vous doutez que vous essayiez, donc que vous vous trompez parfois. Vous apparaîtrez plus vulnérable. C’est une force. Sans vulnérabilité vous êtes en toc, factice.

Premier principe : faire de l’introspection (questionnement / action), deuxième principe : s’exposer pour partager et s’enrichir, troisième principe : être aligné, authentique. Presque comme une éthique, une morale.

Éthique : Ensemble de conceptions morales d’un milieu, de quelqu’un.

Morale : Ensemble de règles de conduite considérées comme bonnes.

Je ne propose pas les mots éthique ou moral comme nécessairement allant vers le bien. Mais plutôt dans l’idée d’une cohérence, d’un univers cohérent, avec un sens, une identité, des convictions, d’une authenticité. Je suis d’accord pour dire qu’une mafia peut avoir une certaine éthique : un ensemble de règles de conduite jugées comme bonnes, un ensemble de conceptions qui définissent sa façon de penser le monde. Même si cette éthique n’est probablement pas bonne dans le sens bien/mal.

Pour que cette introspection, la réflexion, la mise en œuvre, le partage, l’exposition aux autres, la vulnérabilité, puissent s’enrichir il faut cette colonne vertébrale, cette cohérence, que tout s’agrège autour du même sens, d’une même identité. Sinon on part dans des directions éparses, tout se perd. Ce qui permet d’avoir ces petites actions, ces petites réflexions, ces essais, tous ces mélanges, et que cela construise la même cathédrale, la même pyramide : la même termitière plutôt, c’est que nous sommes d’accord sur la direction, sur le sens, sur notre identité, encore une fois.

Dans ce monde chaotique complexe, on avance avec un cadre et une direction : du sens, des convictions, une identité. Dans ce cadre en suivant cette direction on avance, mais on a besoin de régulièrement savoir si les choses progressent. On s’observe régulièrement, on doit donc avancer par petits pas pour s’observer le plus régulièrement possible. Mais pour que tous ces petits pas fassent les grands chemins, pour que toutes ces briques fabriquent la bonne cathédrale. Il faut avoir une idée de la termitière, de la destination, c’est votre sens, votre direction, votre identité.

Si nous savons tous ce que nous voulons pour notre produit “plus de nouveaux marchés en Afrique” (pour reprendre l’exemple précédent). Que nous connaissons bien notre identité par exemple elle se construit sur les valeurs : “nobullshit”, “recherche d’excellence”, “humilité” et “fun” (il s’agit des valeurs de beNext). Que nous partageons des convictions, par exemple : l’autonomie et le leadership et non pas l’ordre et la discipline (et que cela est connu de tous, rappelé constamment par le management). Si cela a été assez clarifié, il devient facile d’agréger toutes ces pensées, toutes ces actions, aussi minimes soient-elles. Soudainement on comprend qu’il s’agit d’un morceau de la termitière, que l’on découvre, parfois avec surprise, apparaître peu à peu.

Pour que cela ne fasse qu’un, tous ces morceaux, il faut une unité, une cohérence. Un alignement. Il renforce l’authenticité.

On comprend aussi pourquoi on dit “non”. Le management devrait dire “non” quand on sort de ce cadre, il en est le rempart.

Il existe un modèle intéressant, la pyramide de Dilts. Ce modèle, qui comme tous les modèles est faux, mais utile, explique que si il n’y a pas un alignement entre le sens, le pourquoi de votre organisation, votre identité, vos croyances, vos convictions, votre capacité (c’est-à-dire vos moyens), vos comportements et votre environnement, si il n’existe pas un alignement, votre organisation est dissonante. Pas fluide. La dynamique est cassée. On nous dit que l’on existe pour cela, que nous croyons en cela, mais les comportements ne sont pas en phase, pas en accord, ou alors l’environnement de travail est bien différent, ou les moyens ne sont pas donnés à ce à quoi nous croyons, il y a une contradiction. Avec cette dissonance les actions ne se complètent pas, ne s’enrichissent pas, mais se freinent, se bloquent, s’annulent.

Qu’il s’agisse d’une mafia, d’une équipe de football, d’une organisation, d’un gouvernement, d’un club de lecture, je pense qu’il est important d’avoir cette cohérence en tête et de la partager en interne. Elle permet d’avancer à petits pas, mais d’avancer loin sur la même route avec la somme de tous les petits pas. Elle permet d’avoir de l’introspection que l’on peut partager, de communiquer et d’exposer son introspection, ses pensées.

Je résume.

Il y a mille raisons pour lesquelles les gens s’arque-boutent sur l’existant, sur leurs habitudes, sur leurs croyances, dans leurs zones de confort. Aucune ne me paraît bonne aujourd’hui. Toutes me paraissent acceptables ou compréhensibles. D’autant plus pour les managers, car ce sont eux qui ont le plus à perdre, et qui perdront le plus si rien n’est fait à mon avis. Mais vouloir changer pour changer n’a pas de sens. Et sans sens, sans direction, on ne va nulle part. Or on essaye souvent de faire bouger les organisations en invoquant des changements dans les moyens : soyons agiles, lean, digital, tout cela n’a pas de sens. Il faut savoir qui nous sommes et ce que nous voulons pour notre organisation. Quel est son sens, quelle est notre identité, quelles sont nos convictions. Et aller dans ce sens. Le changement, l’agile, le digital, seront un effet secondaire (ou pas, et on s’en fout).

Pour les managers devenir un leader, quelqu’un qui sache encadrer et indiquer la direction de façon moderne est passionnant et gratifiant. Mais il faut qu’ils le comprennent, car ils sont la clef de la réussite ou de l’échec. Si la réforme de l’organisation n’avance pas dans le bon sens, c’est leur faute, ils doivent l’entendre. Au plus haut maillon de la chaîne. Soit ils ne savent pas assez déléguer et envoyer les bons signaux, incarner, soit ils ne savent pas communiquer, soit ils ne comprennent pas ce qu’il se passe, soit comme beaucoup ils ont peur et préfèrent rester dans leur zone de confort. Je ne les blâme pas, mais qu’ils ne blâment pas les autres. C’est les managers qui sont la clef. Qu’ils assument ! Qu’ils réalisent l’engagement dont on a besoin de leur part.

Qu’ils comprennent qu’aujourd’hui on ne va pas plus vite, pour moins cher, mais que l’on donne de l’autonomie et qu’on l’adapte constamment son produit. Que les ordres et le contrôle sont contre-productifs. Que la différence se fait sur l’engagement. Pour cela : encore un sens clair, des règles claires, mais qui donnent de l’espace, des informations régulières sur ce que l’on a produit, et pas d’imposition. Des équipes de cinq, sept personnes, huit personnes, co-localisées idéalement, dans des départements de 150 personnes, pluridisciplinaires, qui peuvent délivrer régulièrement quelque chose. On casse les silos. Le manager ne dit plus comment, il ne contrôle plus les personnes, il dit quoi pourquoi, et il observe les résultats, pas les personnes. Et on s’améliore. On avance.

Pour cela de l’introspection, des phases régulières de questionnement suivi d’action pour y répondre. Puis on s’expose pour partager et s’enrichir de cette réflexion. Enfin tout cela s’agrège autour d’une connaissance de soi et de l’organisation partagée : sens, identité, convictions, capacités, comportements, environnement.

Ce n’est pas facile, mais il y a mille plaisirs, pleins de satisfactions, à agir ainsi.